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s'ensevelissent les races futures.
Cette politique est bien différente de celle des Romains, qui établissaient des lois pénales contre ceux
qui se refusaient aux lois du mariage, et voulaient jouir d'une liberté si contraire à l'utilité publique.
Je ne te parle ici que des pays catholiques. Dans la religion protestante, tout le monde est en droit de
faire des enfants ; elle ne souffre ni prêtres, ni dervis ; et si, dans l'établissement de cette religion, qui
ramenait tout aux premiers temps, ses fondateurs n'avaient été accusés sans cesse d'intempérance, il ne faut
pas douter qu'après avoir rendu la pratique du mariage universelle, ils n'en eussent encore adouci le joug, et
achevé d'ôter toute la barrière qui sépare, en ce point, le Nazaréen et Mahomet.
Mais, quoi qu'il en soit, il est certain que la religion donne aux protestants un avantage infini sur les
catholiques.
J'ose le dire : dans l'état présent où est l'Europe, il n'est pas possible que la religion catholique y subsiste
cinq cents ans.
Avant l'abaissement de la puissance d'Espagne, les catholiques étaient beaucoup plus forts que les
protestants. Ces derniers sont peu à peu parvenus à un équilibre. Les protestants deviendront tous les jours
plus riches et plus puissants, et les catholiques plus faibles.
Les pays protestants doivent être et sont réellement plus peuplés que les catholiques : d'où il suit,
premièrement, que les tributs y sont plus considérables, parce qu'ils augmentent à proportion du nombre de
ceux qui les payent ; secondement, que les terres y sont mieux cultivées ; enfin, que le commerce y fleurit
davantage, parce qu'il y a plus de gens qui ont une fortune à faire, et qu'avec plus de besoins, on y a plus de
ressources pour les remplir. Quand il n'y a que le nombre de gens suffisants pour la culture des terres, il faut
que le commerce périsse ; et, lorsqu'il n'y a que celui qui est nécessaire pour entretenir le commerce, il faut
que la culture des terres manque : c'est-à-dire, il faut que tous les deux tombent en même temps, parce que
l'on ne s'attache jamais à l'un que ce ne soit aux dépens de l'autre.
Lettre CXVII. Usbek au même 158
Lettres persanes
Quant aux pays catholiques, non seulement la culture des terres y est abandonnée, mais même l'industrie
y est pernicieuse : elle ne consiste qu'à apprendre cinq ou six mots d'une langue morte. Dès qu'un homme a
cette provision par-devers lui, il ne doit plus s'embarrasser de sa fortune : il trouve dans le cloître une vie
tranquille, qui, dans le monde, lui aurait coûté des sueurs et des peines.
Ce n'est pas tout : les dervis ont en leurs mains presque toutes les richesses de l'Etat ; c'est une société
de gens avares, qui prennent toujours et ne rendent jamais ; ils accumulent sans cesse des revenus pour
acquérir des capitaux. Tant de richesses tombent, pour ainsi dire, en paralysie : plus de circulation, plus de
commerce, plus d'arts, plus de manufactures.
Il n'y a point de prince protestant qui ne lève sur ses peuples beaucoup plus d'impôts que le pape n'en
lève sur ses sujets ; cependant ces derniers sont pauvres, pendant que les autres vivent dans l'opulence. Le
commerce ranime tout chez les uns, et le monachisme porte la mort partout chez les autres.
De Paris, le 26 de la lune de Chahban 1718.
Lettre CXVII. Usbek au même 159
Lettres persanes
Lettre CXVIII. Usbek au même
Nous n'avons plus rien à dire de l'Asie et de l'Europe. Passons à l'Afrique. On ne peut guère parler que
de ses côtes, parce qu'on ne connaît pas l'intérieur.
Celles de Barbarie, où la religion mahométane est établie, ne sont plus si peuplées qu'elles étaient du
temps des Romains, par les raisons que je t'ai déjà dites. Quant aux côtes de Guinée, elles doivent être
furieusement dégarnies depuis deux cents ans que les petits rois, ou chefs des villages, vendent leurs sujets
aux princes de l'Europe pour les porter dans leurs colonies en Amérique.
Ce qu'il y a de singulier, c'est que cette Amérique, qui reçoit tous les ans de nouveaux habitants, est
elle-même déserte, et ne profite point des pertes continuelles de l'Afrique. Ces esclaves, qu'on transporte
dans un autre climat, y périssent à milliers, et les travaux des mines, où l'on occupe sans cesse et les naturels
du pays et les étrangers, les exhalaisons malignes qui en sortent, le vif-argent, dont il faut faire un continuel
usage, les détruisent sans ressource.
Il n'y a rien de si extravagant que de faire périr un nombre innombrable d'hommes pour tirer du fond de
la terre l'or et l'argent : ces métaux d'eux-mêmes absolument inutiles, et qui ne sont des richesses que parce
qu'on les a choisis pour en être les signes.
De Paris, le dernier de la lune de Chahban 1718.
Lettre CXVIII. Usbek au même 160
Lettres persanes
Lettre CXIX. Usbek au même
La fécondité d'un peuple dépend quelquefois des plus petites circonstances du monde ; de manière qu'il
ne faut souvent qu'un nouveau tour dans son imagination pour le rendre beaucoup plus nombreux qu'il n'était.
Les Juifs, toujours exterminés et toujours renaissants, ont réparé leurs pertes et leurs destructions
continuelles, par cette seule espérance qu'ont parmi eux toutes les familles, d'y voir naître un roi puissant qui
sera le maître de la terre.
Les anciens rois de Perse n'avaient tant de milliers de sujets qu'à cause de ce dogme de la religion des
mages, que les actes les plus agréables à Dieu que les hommes pussent faire, c'était de faire un enfant,
labourer un champ et planter un arbre.
Si la Chine a dans son sein un peuple si prodigieux, cela ne vient que d'une certaine manière de penser :
car, comme les enfants regardent leurs pères comme des dieux ; qu'ils les respectent comme tels dès cette
vie ; qu'ils les honorent après leur mort par des sacrifices, dans lesquels ils croient que leurs âmes, anéanties
dans le Tien, reprennent une nouvelle vie : chacun est porté à augmenter une famille si soumise dans cette
vie, et si nécessaire dans l'autre.
D'un autre côté, les pays des mahométans deviennent tous les jours déserts à cause d'une opinion, qui,
toute sainte qu'elle est, ne laisse pas d'avoir des effets très pernicieux lorsqu'elle est enracinée dans les esprits.
Nous nous regardons comme des voyageurs qui ne doivent penser qu'à une autre patrie : les travaux utiles et
durables, les soins pour assurer la fortune de nos enfants, les projets qui tendent au-delà d'une vie courte et
passagère, nous paraissent quelque chose d'extravagant. Tranquilles pour le présent, sans inquiétude pour
l'avenir, nous ne prenons la peine ni de réparer les édifices publics, ni de défricher les terres incultes, ni de
cultiver celles qui sont en état de recevoir nos soins : nous vivons dans une insensibilité générale, et nous
laissons tout faire à la Providence.
C'est un esprit de vanité qui a établi chez les Européens l'injuste droit d'aînesse, si défavorable à la
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